Il a décidé de partir le 18 janvier 2010, c’était un lundi. Il souffrait trop, il n’était plus lui-même depuis déjà des années. J’ai toujours su que cela se terminerait ainsi. Tendance dépressif, alcoolique, solitaire et narcissique, il ne pouvait que choisir cette issue pour ne pas affronter la réalité. Il avait déjà fait des tentatives. J’en ai été parfois témoin. Il n’a jamais été très apprécié par le peu d’entourage qui tentaient de franchir le seuil de notre maison.
Son humour était beaucoup trop vulgaire, déplacé et souvent vexant.
Nous ne recevions pas beaucoup d’amis. Je n’osais pas trop faire venir mes potes car il me faisait souvent honte et me gênait. Il avait besoin de se rendre intéressant, pour cela il utilisait l’alcool et la vulgarité. Malheureusement cela ne jouait pas en sa faveur. Bien sûr il avait des côtés attachants, je garde aussi d’excellents souvenirs. Il était drôle quand il n’était pas alcoolisé et il était protecteur. Généreux, il offrait des cadeaux de valeurs et gâtait pour se faire pardonner, faire oublier la merde semée.
Je baignais dans cet atmosphère depuis ma naissance.
C’est seulement vers l’âge de 12 ans que j’ai réalisé que ce n’était pas normal. Il avait un problème voir plus d’un. Et j’ai eu mal en comprenant que chez mes copines cela ne se passait pas ainsi. Chez nous, l’ambiance variait en fonction du taux d’alcool ou du niveau des engueulades. Je comprends aujourd’hui d’où vient ma personnalité angoissée.
Il l’aimait plus que tout, plus que tout le monde, moi y compris. Elle était sa femme, sa chose aussi. Jaloux, possessif, il ne supportait pas que quelqu’un s’approche trop prêt d’elle. Nous vivions dans un huit clos malsain. Il avait un amour exclusif qui l’a détruit. Elle est partie plusieurs fois et est revenue à chaque fois, car elle l’aimait malgré tout. De toute façon elle a toujours vécu ainsi. Avec le recul, je me dis que j’aurais dû partir bien avant 25 ans, partir même avant 18 ans.
Cela m’aurait évité des années de psychothérapie.
Le 1er janvier 2010, elle m’appelle pour me demander de l’accueillir, encore une fois, avec ses valises car cette fois-ci « c’est pour de bon ». Je dois accoucher dans un mois. J’en ai marre que tout ça n’en finisse pas, que je sois mêlée à leur duo. J’ai envie de profiter de ce dernier mois. Il m’ont déjà fait participer à tellement de crises, j’ai envie de dire stop. Surtout que ce n’était pas la première fois qu’elle faisait ça. Je l’accueille tout de même et elle restera chez moi jusqu’à cette terrible annonce.
Il a compris que cette fois-ci elle ne reviendra pas.
Il m’appelle plusieurs fois par jours sur mon portable, chez moi, sur le téléphone de Mister. Nous laisse des messages menaçants « je vais foutre le feu à la maison », « bon cette fois c’est mon dernier message ». Puis la culpabilisation et le chantage affectif « j’ai toujours été là pour toi, et toi maintenant que tu es enceinte tu penses qu’à ta gueule avec Mister ». Il n’a jamais supporté que j’admire un autre homme que lui. La veille de ce 18 janvier 2010, je décroche une dernière fois le téléphone pour une discussion un peu houleuse avec lui. Je conclue la conversation par un « je n’ai plus rien à te dire » et là-dessus il me répond « de toute façon je ne t’en donnerai plus l’occasion ».
Je ne savais pas que ce serait notre dernier échange. Les dernières phrases.
Il habitait du côté de La Rochelle. Cela faisait deux jours qu’il n’appelait plus, ce silence m’a paru suspect. J’appelle la gendarmerie pour qu’ils se déplacent, les gendarmes m’informent qu’ils ne se déplaceront pas car il a signé récemment une décharge auprès des pompiers. Je tente une nouvelle fois de le joindre à son domicile, une autre voix que la sienne décroche. C’est ma tante. J’ai peur : « Qu’est-ce qu’il se passe ? » « C’est fini Jul’. Il a décidé de partir. » Le téléphone tombe, ma mère le rattrape, je hurle et pleure.
C’est fini.
Je passe la nuit assise sur mon lit, sans pouvoir dormir, en ayant peur de m’endormir, peur de penser à lui, à tout ça, à cette douleur. Je vis dans une quatrième dimension à ce moment là. L’impression qu’on m’a arraché un bras. J’ai mal et surtout je prend conscience que je ne rirai plus avec lui, que je ne m’engueulerai plus avec lui, que je ne m’inquièterai plus pour lui, que je ne dirai tout simplement plus jamais PAPA.
Jul’
Votre témoignage est touchant, et me rappelle le mien… sauf que pour moi, personnellement, c’est plus récent. Un deuil fait sur le temps pour se dire que l’éloignement est mieux ainsi jusqu’au jour où on vous appelle, entre Noël et Nouvel an, et qu’on vous dit que c’est fini. Un adieu le jour de mes 35 ans. Des regrets sur certaines choses, un soulagement sur d’autres. Dans tous les cas, c’est une part de nous qui part… avec lui. Je me retrouve dans vos mots. Et à mon tour, je ne pourrais plus jamais dire « papa »
Oui, c’est ça. C’est une part de nous qui part avec lui. J’ai mis des années à faire mon deuil. Je vous souhaite beaucoup de courage.
Ce qui est terrible dans ce que tu décris, c’est ce mélange de souffrance réelle chez ton père et en même temps, l’usage de cette souffrance pour faire du chantage aux autres. Et ce qui me fait peur, c’est que beaucoup de personnes autour de moi ont connu ce type de situations à différents degrés de gravité (en général plutôt le père que la mère, surtout dans l’aspect possessif)… Je suis vraiment triste de lire ça et j’espère qu’en écrivant et en étant bien entourée, ces plaies se refermeront doucement
Mon père était pervers narcissique. C’est pour cela qu’il utilisait sa souffrance pour faire du chantage affectif. Malheureusement je n’ai pas été suffisamment entourée, et surtout les personnes qui auraient dû être présentes ne l’ont pas été… J’ai mis des années à m’en remettre… seule.
Je connaissais un peu votre relation conflictuelle mais avec tout l’amour qu’on puisse apporter à son père (un super gâteau d’anniversaire avec sa photo jeune, de mémoire ) tu es une femme forte
Merci. Malheureusement ce n’était pas un amour sain. Il m’a fallu être une mère pour comprendre qu’on n’a pas le droit d’être ainsi avec son enfant.